Steve Penney

L’étoile filante la plus brillante

On imagine mal Carey Price monter à bord d’un camion Molson pour livrer de la bière dans les dépanneurs du Québec après avoir mené le Canadien au carré d’as des séries éliminatoires de la LNH.

Steve Penney, lui, jouait à une époque où la sécurité d’emploi n’était pas la même et il ne se rendait probablement pas compte de l’ampleur de ses exploits lors des séries de 1984…

Après avoir éliminé les Bruins de Boston et les Nordiques de Québec (qui ne se souvient pas du fameux match du Vendredi saint ?) et mené le Canadien au carré d’as, à la surprise générale, le jeune homme de 23 ans, qui ne comptait pourtant que quatre matchs d’expérience dans la LNH, a choisi de retourner sur le camion de livraison de bière une semaine seulement après l’élimination de l’équipe.

« Quand j’ai signé mon premier contrat avec l’organisation, raconte Penney, aujourd’hui âgé de 56 ans, M. Béliveau m’a offert de travailler chez Molson l’été pendant la saison morte. Je l’ai fait quelques étés pendant que je jouais dans les mineures. C’était un emploi physique, mais j’aimais vraiment ça, c’était un bon entraînement. J’avais du fun avec la gang. Quand la saison a pris fin, je voulais garder la même routine. Mon salaire augmentait, mais je n’avais pas encore de poste l’an prochain. C’était juste normal pour moi de retourner sur les camions de bière. »

Cet été-là, l’expérience a duré seulement cinq jours. « Après une semaine, Jean-Guy Laberge, le directeur à Québec, m’a dit que ça ne marchait pas. Ma run ne finissait plus. Avant, le client ne me reconnaissait pas. On rentrait les barils de draft tranquilles et on repartait. Mais après les séries, tout le monde voulait jaser, avoir un autographe, on m’offrait de la bière. Au lieu de prendre une heure chez un client, on restait plus de deux heures. Au début, c’était le fun, mais les gars avec qui je travaillais voulaient finir leur journée eux autres aussi. On m’a placé aux promotions spéciales par la suite... »

De Flint au Forum

Rien ne prédestinait pourtant Steve Penney à atteindre la Ligue nationale de hockey. Modeste choix de huitième tour, cet athlète originaire de Sainte-Foy a disputé deux saisons à Flint, dans la Ligue internationale, club-école... du club-école du Canadien à Halifax.

En 1983-1984, Penney est passé de troisième gardien à Halifax derrière Mark Holden et Greg Moffatt à héros du Forum !

« Le Canadien et ses gardiens n’allaient pas très bien cet hiver-là, raconte Penney, qui œuvre au sein d’une entreprise de montures de lunettes depuis 26 ans. On m’a rappelé en janvier, sans me faire jouer, sans doute pour mettre de la pression sur Richard Sévigny et Rick Wamsley. J’ai commencé à jouer plus souvent par la suite à mon retour dans la Ligue américaine. »

Penney sera rappelé à nouveau en fin de saison. « Je n’avais aucune idée si j’allais jouer. J’étais juste heureux d’être rappelé. Je voulais juste l’occasion de signer un nouveau contrat et me faire un nom l’année suivante dans la Ligue américaine. »

Une semaine après son rappel, l’entraîneur-chef Bob Berry est congédié. Jacques Lemaire prend la relève d’un club désespéré. Le Canadien se qualifie néanmoins pour les séries éliminatoires et a rendez-vous avec les Bruins, au Boston Garden, au premier tour.

« Je m’en souviendrai toujours, relate Penney. Tous les joueurs étaient sur la glace le matin du premier match, incluant les réservistes. Je m’attendais évidemment à être du groupe de réservistes. »

« Pendant qu’on patinait en rond avant le début de la pratique, Jacques Lemaire est venu à côté de moi. Il m’a demandé : “Ça te tentes-tu de jouer à soir ?” Je lui ai répondu : “Ben oui !” Il m’a dit : “OK, tu pars le match.” Ça s’est passé tout simplement de même... »

— Steve Penney

Penney voit Lemaire s’éloigner quand la nervosité s’empare de lui. « Sur le coup, tu es content, mais après, tu continues à patiner, la pratique n’est pas encore commencée, et tu te dis “oupelaïe, c’est vraiment vrai”. Dans l’après-midi, je n’ai pas dormi très longtemps. Au début de la rencontre, tu es nerveux, c’est ton premier match en séries éliminatoires contre Boston, la grande rivalité. Mais après la première période, je savais que j’étais capable de rivaliser. Ça s’est bien passé. »

Ses idoles se sont transformées en partenaires de travail. « C’était impressionnant au début dans le vestiaire la première fois avec [Guy] Lafleur, [Bob] Gainey et [Larry] Robinson. Au début, ils veulent te mettre à l’aise et ils te jouent des petits tours pendables. Mais dans les séries éliminatoires, c’est une autre game. Ils avaient la chance de faire oublier leur hiver difficile. »

Penney accordera deux buts en deux matchs au Garden. « Quand on est rentrés à Montréal après avoir pris les devants 2-0, on dit toujours qu’on ne regarde pas la télé et qu’on n’écoute pas la radio, mais on ne se bouche pas les oreilles. Je voyais que ça montait, mes amis me disaient que le monde ne parlait que de moi.

« Les comparaisons commençaient. Ça parlait de [Ken] Dryden. J’étais fier, j’étais heureux, mais je ne m’en faisais pas plus que ça, c’était une chance de me faire un nom. »

Derrière Lemieux et Chelios

Le jeune homme n’aura pas qu’un bon printemps. La saison suivante sera très productive également.

« J’ai fini parmi les trois premiers pour la moyenne pendant la saison et terminé troisième dans la course pour la recrue de l’année, derrière Mario Lemieux et Chris Chelios. J’ai aussi fait l’équipe d’étoiles des recrues. Dans les séries, ça avait bien été, mais on s’est fait éliminer par Québec lors du fameux septième match en prolongation sur le but de Peter Stastny. »

Le déclin s’amorcera. « Jacques Lemaire a lâché au cours de la saison morte, Perron est arrivé, et j’ai été blessé à l’aine au camp d’entraînement. Perron a dit toutes sortes d’affaires, que je n’étais pas arrivé en forme au camp d’entraînement, ce qui était totalement faux. Quand je suis revenu, ça ne marchait plus beaucoup avec Perron. Je n’ai pas disputé le premier match de la saison, mais j’y étais pour la partie d’ouverture au Forum. Je me suis blessé au genou quelques matchs plus tard. C’était le début de la fin. »

Après un hiver difficile, il reprend espoir en mars 1986. « Je m’en souviendrai toujours, nous étions à St. Louis, Perron me fait venir dans sa chambre à l’hôtel. Il me dit : “Tu goales à soir, tu goales demain et on va partir les séries éliminatoires avec toi, t’es le seul qui a de l’expérience.” Je joue le match, ça se passe super bien, mais dans la dernière minute de jeu, y’a un gars qui me tombe sur le genou, ligament pété, fini pour la saison. »

À l’aube des séries, le Canadien doit alors s’en remettre à un blanc-bec de 20 ans, un certain Patrick Roy. Quelques semaines plus tard, l’équipe parade avec la coupe Stanley sur la Sainte-Catherine...

« J’aurais pu à la rigueur m’habiller pour la finale, mais on ne change pas une combinaison gagnante. C’est pour ça que mon nom n’est pas sur la Coupe Stanley. C’est faux de dire que Perron avait choisi d’y aller avec Patrick Roy pour commencer les séries. Totalement faux. Je sais ce qu’il m’a dit et ce qui s’est passé. Ce n’est pas seulement ma version, ce sont les faits. »

Penney ne disputera plus un seul match pour le Canadien. « À la fin de la saison, Serge Savard était prêt à m’offrir un nouveau contrat, il me disait que ça serait le fun, deux gars de Sainte-Foy devant le filet. Je lui ai répondu que j’aimerais beaucoup ça moi aussi, d’autant plus que j’avais une très bonne relation avec Patrick, mais tant que ce coach-là sera en place, je ne pourrais jamais jouer pour lui, je me connais. Je lui ai demandé de m’échanger. »

Il se retrouvera à Winnipeg, où les blessures l’accableront à nouveau. Deux ans plus tard, après quelques brèves présences dans l’uniforme des Jets, il tire sa révérence, à 27 ans.

Steve Penney aura été une étoile filante chez le Canadien. Mais sans doute l’étoile filante la plus brillante de l’histoire.

« On me demande souvent si je suis amer. J’aurais aimé que ça dure 10 ou 15 ans, mais j’ai atteint le plus haut niveau que je pouvais atteindre, j’ai eu un certain succès et ça s’est terminé, mais ça se termine toujours. Je n’ai jamais été une vedette, même dans les rangs juniors. Mon but était de me rendre le plus loin possible. »

STEVE PENNEY SUR... 

... Jean Perron

« Je n’aurais pas pu jouer pour Jean Perron une autre année. Il s’est passé trop de choses. Moi, dans la vie, si tu es mon coach, que tu en arraches et que tu me demandes de prendre un break, pas de problème. Mais si tu me dis que tu joues le lendemain, et le lendemain tu arrives et ton chandail n’est même pas accroché dans le vestiaire pour participer au match, il y a un problème. Pour moi, c’est un manque d’honnêteté. Si tu me dis blanc, c’est blanc, si c’est noir, c’est noir. Ce n’est pas ce qui se passait avec Perron. »

... les paroles de Dickie Moore

« Il m’avait dit lors d’un tournoi de golf des anciens : “Steve, ce que tu as fait avec le Canadien, il n’y a pas grand monde sur terre qui l’a réussi. Non seulement de jouer pour le Canadien, mais tu as fait quelque chose pour ce club-là. Ton nom est inscrit à jamais dans l’histoire du club.” Quand tu penses à ça, tu te dis : c’est vrai. D’avoir joué pour le Canadien m’a ouvert des portes, même dans mon métier actuel. Quand je donnais ma carte d’affaires, les gens me reconnaissaient. »

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